Sans titre

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Tal Coat

jeudi 6 mars 2025

Sur la route

 Dans cette histoire, les routes des provinces s'emmêlent, de Rennes ou de Lorraine la route où claquent les sabots de la belle, de la duchesse, de la vilaine on ne sait pas trop, toujours est-il qu'elle marche, mais où ses pas la mènent l'histoire varie sur ce point aussi, ce qui nous ravit, c'est la variation même. On dit qu'elle allait vers Paris, de Bretagne ou par la Lorraine, Paris ça vous pose une belle, les sabots ce n'est pas un problème quand le fils du roi vous aime, voilà ce qu'elle dit, la belle. A qui elle le dit, l'histoire varie sur ce point aussi, ça qui me réjouit, trois dames ou trois capitaines, landeri mirlitontaine, la belle a de la répartie, et ses sabots d'Ille et Vilaine ne l'empêcheront pas d'être reine si le bouquet de marjolaine -un don du Dauphin transi- qu'elle a planté sur la plaine, si le bouquet refleurit elle règne, mais s'il meurt, peine perdue, dondaine, elle repartira vers Rennes, passera par la Lorraine, en sabots toute honte bue.

dimanche 23 février 2025

Jusqu'à la fin du monde

 Dans cette histoire, si belle est la fille que chacun veut la marier, prince et valet de chambre qui la voient du palais, boulanger confit, fils de couturier, chacun voudrait sa main aux marches où elle se tient (on dit que la fille est flamande). Pour tenir la botte, nul n'égale le cordonnier qui chausse la belle de souliers à la mode de Nantes -l'histoire a de ces variantes… C'est en chaussant ses jolis pieds que lui est venu l'éloquence: si la belle y est disposée, il lui promet rien moins qu'un bouquet de pervenche, lit carré revêtu de taies blanches, si elle le veut bien, chant de Philomèle, si elle atteint le septième ciel, alors le lit deviendra monde sensuel, au mitan la rivière aussi large que profonde, à même; si elle l'aime, d'assouvir la soif des chevaux du roi, aussi vrai que la terre est ronde, si profonde que s'y noierait le cheval noir, au risque de la colère du roi qui pourrait les faire pendre, c'est un risque à prendre pour dormir ensemble jusqu'à la fin du monde.

samedi 22 février 2025

Pâques ou Trinité

Dans cette histoire, une femme attend -rien de surprenant, dans les histoires, tant de femmes attendent, un fils, un mari, un amant, un frère, que le jour se lève, que la nuit tombe, la vie d'une femme y est tissée d'attentes, ici c'est à la tour qu'elle se tient, ici c'est un mari dont elle espère le retour en vain. Passent Pâques et Reverdie, Trinité parfums de lilas, pétales de roses tombés, dans cette histoire pas d'autre retour que celui du refrain. Madame à sa tour montée aperçoit enfin quelqu'un qui approche, un gringalet, presque un gamin, c'est le page qui revient tout de noir vêtu - on a compris, la chose est entendue, cette histoire sans mystère aucun? Voire… Le page en noir dit à la dame qu' il va faire pleurer ses beaux yeux, c'est un peu galant pour la circonstance, il lui faut se déshabiller, quitter robe rose et satin broché pour prendre le deuil de son mari fauché par la mitraille, l'enfant narre l'enterrement, les honneurs militaires, le romarin planté près la tombe, va jusqu'à prétendre qu'on vit son âme s'envoler -j'en doute- au travers des lauriers. Il ajoute le page endeuillé qu'après l'enterrement chacun s'en retourna seul ou accompagné de blonde ou brune ou bien châtaigne, c'est un peu déplacé je trouve, et l'histoire ne dit pas si la veuve en rose a pleuré du haut de la tour où elle attendait.

vendredi 21 février 2025

Rouler carrosse

 Dans cette histoire un cantonnier lève sa masse pour briser les pierres de la route, un casseur de cailloux capable de combler ornières, nids de poule, de faire d'un chemin creux une voie carrossable, un cantonnier fait son métier, sur la route de Louviers. Il faut rouler carrosse pour profiter de son métier, c'est donc une belle dame qui passe et qui, n'étant pas trop secouée, daigne parler au cantonnier depuis son beau carrosse doré, mais parler, c'est pour dire qu'il fait un bien fichu métier - Madame il aurait mieux valu se taire, belle affaire que la pitié. Le cantonnier de notre histoire lui rétorque qu'à rouler carrosse on ne casse pas des briques et toc voilà la dame coite et la morale écrite.

jeudi 20 février 2025

Plumes au vent

 Dans cette histoire, on ne sait pas où se situe l'étang que son père lui donna, qui n'était pas si creux que grand, peut-être une mare à canards embellie par des yeux d'enfant, trois canards y nagent, rien de surprenant. Cependant, c'est là que l'histoire commence, un prince, bien fils de son père, chasse au mépris des pauvres gens, voit les canards, vise le noir, tue le blanc d'un maladroit fusil d'argent. Il est méchant le fils du roi, il tue presque gratuitement, du sang sur l'eau, des plumes au vent. Trois dames passent, qui les ramassent, tout va par trois dans cette histoire, des plumes elles feront un lit blanc qui ne consolera pas l'enfant.

mardi 18 février 2025

Plonger du pont

 Dans cette histoire, une fille pleure l'anneau perdu, la bague tombée, ses larmes pleuvent du parapet, elles tombent du pont de Tréguier, là où la bague était tombée. Survient dans cette histoire un jeune homme intrigué qui demande à la belle ce qui la fait pleurer, elle raconte l'anneau perdu, la bague tombée, s'il plonge, elle promet un baiser, un baiser de la belle ne peut se refuser. Il plonge le jeune homme, il aperçoit l'anneau à la première apnée, la seconde il croit le toucher. L'histoire dit qu'à la troisième il s'est noyé. 

Dans cette histoire, en épilogue, un vieillard qui les regardait se met à pleurer, il pleure ses trois fils noyés pour la même fille et  sa maudite bague, pour la promesse d'un baiser.

lundi 17 février 2025

A Saint-Michel-en-Grève

 Dans cette histoire se tient un vieil homme qui ne dit rien. Ce qu'il regarde, on ne sait pas, dans le lointain, après la mer et l'horizon, que trouve-t-on, qu'espère-t-il? - Rien, à son âge on n'espère plus, ou bien alors à l'espagnole, mais là c'est le lot commun. Ce qu'il attend, dans cette histoire, c'est le retour d'un fils perdu qui s'était engagé, il craint la voile noire, le capitaine à qui il l'avait réclamé ne l'avait pas libéré. Dans cette histoire le vieillard pleure dans le secret de son grand lit, la nuit, pendant que des filles chantent la chanson qu'on dit être de son fils. Il se promet qu'à l'aube, il retournera sur la plage, il marchera jusqu'au large, et se noiera, dans une odeur d'iode et d'algues vertes, ça l'histoire ne le dit pas.

samedi 15 février 2025

Ogres

 A nos cycles indifférent, celui du soleil reprend, des frémissements dans la mare, la première tête d'un crocus brave le gel, les jonquilles qui tôt s'ouvriront, y allant à leur tour de leurs petits soleils, tout cela va son cours, tout cela va sans nous, tout cela irait mieux si nous n'étions pas là, goinfres omnivorants de la racine à la fleur, des œufs à la carcasse: nous avons faim de toutes les chairs, nous avons soif de toutes les pulpes, et quand nous aurons tout mangé, nous nous entredévorerons sous un soleil vert.

vendredi 14 février 2025

La bête qui monte

 Qui n'entend pas les bruits les cris et les injures ni le braillement des soudards il en est, qui ne voit pas la mer monter, l'arc en ciel se brunir, le sang pleuvoir dans la fumée il en est, qui se tait et consent au bâillon des mots interdits, qui sait et ne dit rien des crimes qui se fomentent en participe, trois singes en vérité, trois signes sur l'autel de notre lâcheté -on parle de stupeur entre gens bien élevés. Que ferons-nous quand devenus le paillasson des brutes, ils s'essuieront les pieds? La merde de leurs semelles, ferons nous semblant de ne pas la sentir? Et l'odeur des cendres des nos livres, et l'odeur des cendres de ceux qu'ils tiennent pour infâmes (Amis, on a brûlé le malheureux Chausson), en tirerons-nous de la potasse pour nos jardins honteux? Ce qui commence, ce qui continue, soldats travestis avec les robes de leurs victimes,  enfants abattus, migrants murés, villes en feu, folles tabassées, chanteur balancés du balcon, ce qui continue, ce qui recommence, qui ne veut pas voir ni entendre, qu'il se taise honteusement.

mardi 11 février 2025

Pendant la chute

Ce qui nous emporte qu'est-ce? La rage s'épand et nul ne mord qui ne soit mordu, mort promise, bave aux lèvres en se réclamant de dieux morts, nous éructons des ordures, et ceux qui mènent la danse bandent dans la fièvre de leurs crimes. Ce qui nous mène, ce qui nous ment, s'accélère, nous cerne et nous malmène, assommés que nous sommes par la bêtise sans précédent qu'ils sèment. Il faudrait tenir pourtant, aider ceux qui demandent asile, soigner les malades, nourrir les mendiants, préférer les fragiles aux gagnants, aimer  dans toutes les langues aimer bien si possible au moins ne pas trop nuire, ce qu'il faudrait c'est, dans l'effondrement de février, faire foirer les imbéciles, rechercher la douceur en nous de toutes les amours possibles, dans tous les genres, sous toutes les peaux, le sol tremble et vacille comme sombre notre raison, nous ne tenons qu'à un fil rompu, nous tombons aimons nous puisque l'écrasement.